i'm gonna pop your bubble gum heart
La mémoire me revient encore brièvement. C’est mieux qu’avant, il fut un temps où je n’aurais même pas pu prononcer mon propre nom sans me demander de qui je parlais. Ce qu’ils m’ont fait, les tortures que j’ai subies, elles me suivent encore. Je sais qui j’étais, mais j’ai l’impression de parler d’un étranger et non de moi-même. Je vois les scènes comme un film lointain dont je ne suis qu’un simple spectateur. Je vois une vie simple, une vie solitaire, mais qui n’avait pas besoin de beaucoup pour être accomplie. J’y vois une très petite vie d’un jeune homme courageux, plein d’ambition, qui veut sauver son pays et devenir un nom que l’on n’oubliera jamais. Je le vois défendre ses amis dans la petite cour d’école, je le vois être généreux de sa personne, blagueur, je le vois même tomber amoureux de la plus belle fille de l’école. Ce jeune homme ne sait pas ce qui l’attend, il ignore complètement que sa vie va changer, qu’il ne devrait pas rejoindre l’armée.
Le jeune homme de mes films à un ami, un meilleur ami plus fétiche, mais pas moins fonceur. Je le vois sauter dans un combat, prêt à mourir pour défendre la fille de notre école, celle qui se fait constamment insulter. Il se bat à corps et à sang, le garçon s’appelle Steve et moi James. Je vais l’aider et rapidement les autres se sauvent du combat à cause de moi. Steve lève le poing fièrement en l’air en pensant qu’il les a fait fuir et je le laisse faire avec un sourire sur mon visage. Ce genre de comportement, je m’en rappelle vaguement, mais je sais que j’aimais son courage et son brin de folie. Je lui disais constamment de faire attention à lui, il disait toujours de ne pas se faire de sang d’encre sur son cas, qu’il savait se défendre. Je souriais, je le laissais faire, mais j’agissais comme une mère en lui disant de ne pas faire de folie.
Une mère … sa mère s’appelait Sarah. Elle est morte quand il était encore jeune, il a fini à l’orphelinat et c’est là qu’on s’est rencontré. J’avais une sœur, des yeux aussi gris que les miens et de longs cheveux bruns qui se déposaient sur son dos gracieusement. Mes yeux se ferment, je pense un peu plus, je connais la suite de l’histoire. Elle n’est pas encore claire, elle vient par bout, je n’arrive simplement pas à tout replacer. C’est un casse-tête, aucun morceau ne va ensemble, je n’arrive pas à le reconstruire. Les seuls morceaux qui fonctionnent sont ceux de Steven, eux collent ensemble facilement, je ne comprends pas.
Les morceaux deviennent flous et Steve revient, mais cette fois il a une carrure très différente. Est-ce la même personne? Le même gamin de Brooklyn que je viens de voir à l’instant? C’est presque impossible, mais ils ont le même visage, le même courage. Il me tire des mains d’Hydra et il sauve le commando hurlant. Attendez, on est où? La guerre? Les images défilent rapidement, je vois des combats, des explosions, des morts à perte de vue. En regardant de plus près, je vois un visage aussi rouge que le sang avec un regard injecté de haine. Je me retourne et Steve est là. Non pas Steve. Capitaine America, le grand héron, chef du commando hurlant. Mes yeux se ferment à nouveau, ce film est vraiment une des pires productions hollywoodiennes, rien ne fonctionne.
Je suis dans un train, quelque chose explose à ma droite et je m’accroche autant que je le peux à un barreau qui commence à se briser sous mon poids. Je vois Steve me tendre la main, j’essaie de la rejoindre, mais je n’y arrive pas. Un gouffre m’attend, une longue chute, je vais mourir.
Le film reprend, je suis encore spectateur, mais mon siège s’est approché de l’écran. Je regarde autour de moi, la salle est complètement vide, il n’y a personne d’autre que moi pour voir cette horreur. Les pièces se mettent doucement en place et je vois des visages tous aussi flous les uns que les autres. Certains murmurent des mots que je ne comprends pas, la sonorité sonne agressive, je dois me défendre. J’attaque par instinct les gens qui m’entourent, mais ils me maîtrisent tellement rapidement que je me sens incapable. Je vois que mon bras gauche n’est plus le même, je panique, j’attaque.
Les lumières se ferment, la suite est encore plus étrange. De bref moment d’époque qui passe rapidement. On me donne une arme dans les mains et ont m’envoie sur le terrain. Je vois l’homme devant moi tirer sans remords puis repartir. Il n’est pas humain, il est froid, il n’est rien d’autre que ce qu’il lui indique d’être. Il ne veut pas écouter, il veut désobéir, mais dès que l’envie le prend il est puni. Ses punitions sont terribles, la douleur lui traverse le corps, il se sent mourir à chaque fois. Cette douleur est persistante, elle reste même après qu’ils aient terminé, elle reste si profondément en lui qu’il sait craindre son arrivée même s’il oublie. Vide, détruit, il n’est plus rien, plus personne. Il n’a ni nom, ni n’en mérite, il n’est que ce qu’ils lui disent d’être.
Ses yeux s’ouvrent de nouveau devant un gamin de Brooklyn un peu trop courageux. Il dit un nom étrange, Bucky, ce nom traverse la colonne du soldat de l’hiver. Il avait déjà entendu sa sonorité, un jour, mais il ne peut vous dire réellement d’où ce nom vient ou à qui il appartient. Il est juste assez déstabilisé pour que je reprenne la place qui m’est due. Ce qui suit est encore flou, je sais juste que j’ai échoué ma mission, je sais uniquement que j’ai fini par laisser le gamin vivant. Je pars, je retourne vers ceux qui me dicte qui être, je ne sais pas quoi faire d’autre. Y a-t-il une vie loin d’eux? J’ai tenté d’en avoir une, tout est si étrange, ils m’ont retrouvé malgré mes tentatives de fuite. Ils me retrouvent toujours. Pourtant cette fois c’est différent, cette fois ils n’arrivent pas à tout effacer, je me souviens encore. Je ne sais plus quoi faire, je ne sais plus qui être, je ne sais plus où aller.
Je quitte la salle, j’entre dans le film, j’y suis le personnage principal. Je suis James Barnes, je sais mon nom pour la première fois en très longtemps. Cette fois je m’enfuis d’HYDRA efficacement, ils sont tombés bien bas, ils se sont retirés du terrain. Ce n’est pas bon signe, HYDRA ne part jamais longtemps sans raison, sans trouver une façon de revenir. Je me cache, je change de ville chaque jour, je ne me mêle à rien. Je me rends à New York pour retrouver le gamin de Brooklyn, mais je n’ose pas l’aborder, j’ai peur pour la première fois depuis très longtemps de ce qu’il pourrait arriver. Si je me rappelle d’autres choses, pires, si je me rappelle complètement de qui j’étais qu’adviendra-t-il de moi? J’étais un héros, je pense, quelqu’un qui défendait son pays quoi qu’il en coûte. Que suis-je devenu? Plus une machine qu’un homme. Je ne suis plus humain, je ne pense pas pouvoir le redevenir, qui sait. J’évite quiconque, je marche solitaire en criminel, je ne sais plus qui être. Le soldat de l’hiver, le sergent James Barnes, Bucky, ils sont tous si différents les uns des autres.
Je m’arrête enfin. Je respire, seul, dans le parc. Les pièces ne collent plus, le casse-tête n’avance plus, il est désormais bloqué. Je regarde la nuit qui défile, je me demande comment terminer cette histoire, je ne trouve pas les mots pour m’aider. Je me sais prêt, je sais que je peux affronter ce monde à nouveau, mais je ne sais pas comment je le ferai. Mes yeux tombent sur mon fusil, chargé, j’attends de la visite. Je ne suis plus seul et se joint à moi un agent portant les couleurs écarlates de son allégeance. Je ne retournerai pas là-bas. Je tire et l’homme tombe. J’entends des Cries de détresse, me recule, je réalise alors ce que je viens de faire. Je dois courir, partir, j’ai fait une erreur. J’ai tué un innocent, je l’ai confondu avec un agent, je ne sais plus qui est qui. Tout est de nouveau flou, je m’enfuis, plus rien ne sera pareil.